Jane Alexander
Jane Alexander - Security
http://www.lacentraleelectrique.be/index.php/fr/expositions/133-jane-alexander-humanimals
25.03.11 > 21.08.11
Surveys from the Cape of Good Hope
Jane Alexander est née à Johannesburg, Afrique du Sud, en 1959. Elle réside et travaille actuellement au Cap où elle enseigne à l’École des Beaux-Arts Michaelis de l’Université du Cap.
Dès ses premiers
pas artistiques, au début des années 1980, alors que l’Afrique du Sud se trouvait encore sous le joug de l’apartheid, le travail d’Alexander a toujours été profondément influencé par les
questions sociopolitiques qui font partie de l’observation et de l’intérêt de l’artiste pour le comportement des êtres humains et des autres animaux à l’intérieur et au-delà de son propre
environnement social. En d’autres termes, les inquiétudes de l’artiste se réfèrent moins aux problèmes, aux ambitions et aux conflits qui sous tendent le pouvoir politique conventionnel qu'à la
dérive, ô combien fréquente, des relations de pouvoir sous toutes ses formes qui se consolident en structures permanentes et en routines d’autorité et de contrôle, paramètres clés de l’oppression
et de l’abus.
Dans l’approche de l’artiste, les phénomènes sociaux, même ceux qui se passent à l’échelle planétaire et les processus individuels, même purement subjectifs, ne sont pas considérés et
élaborés comme indépendants les uns des autres mais bien examinés et exprimés comme deux réalités interdépendantes et indissociables ou, mieux encore, comme une réalité unique à deux
facettes.
En d’autres termes, ses œuvres explorent simultanément les phénoménologies sociale et individuelle de l’existence et le comportement humain avec ses composantes « rationnelles » et moins «
rationnelles ».
De ce point de vue, les « humanimaux » d’Alexander, pour employer le néologisme fort à propos de Julie McGee, incarnent et nous invitent à considérer les frontières perméables qui séparent
les humains des autres formes de vie animale.
Dans cette optique, l’ensemble de son travail traite de l’hybridité et de la mutabilité inhérente à l’homme, des multiples « autres » qui nous habitent derrière les personnages conventionnels que
nous incarnons successivement au quotidien.
The Butcher Boys
Jane Alexander
Le résultat est un travail ouvert, aux multiples facettes, qui défie toute classification ; plusieurs de ses œuvres mettent en évidence les différentes dimensions des relations et des multiples motivations souvent conflictuelles qui convergent dans le comportement humain et la vie sociale.
Auteur des plus puissantes expressions artistiques des démons de l’apartheid - tout particulièrement les Butcher Boys (1985-86), à une époque où le pays se trouvait en état d’urgence - au
tournant du millénaire, alors que l’Afrique du Sud se réinventait en tant que démocratie multiculturelle égalitaire, Alexander a revu ses priorités. Elle s’est intéressée à la transposition, ou
au manque de transposition, des profonds changements politiques qu’a connus le pays au quotidien. Parallèlement, l’artiste a étendu le champ de ses références à des situations et des processus
qui, tout en restant ancrés dans les réalités et les observations locales, dépassent nettement les frontières sud-africaines. La persistance des préjugés et des formes de discrimination
basés sur la race, la reproduction des formes néocoloniales de domination, l’obsession sécuritaire en constante progression et, simultanément, la prolifération mondiale des frontières fortifiées
et des systèmes de surveillance, font partie des thèmes dominants des œuvres récentes d'Alexander.
Pourtant, comme à l’époque de l’apartheid, son approche de ces phénomènes problématiques ressemble toujours à une topographie neutre des forces, des intérêts, des passions et des effets en jeu
dans les relations et les échanges humains. Ce faisant, ses œuvres transcendent leur contexte local pour nous présenter l’existence quotidienne tiraillée entre constructions rhétoriques plaidant
en faveur d'une vie paisible et digne et le potentiel incontrôlé de l’être humain au conflit et à l’usage de la violence.
Dans sa recherche, l’artiste ne verse jamais dans la fascination morbide du côté sombre de l'être humain mais reconnaît son énorme capacité de résistance, d'organisation et de dignité face à
l'adversité, à la privation, à la peur et reconnaît la vulnérabilité des individus en situation de pouvoir ou d'autorité.
La série de personnages individuels, de tableaux, d’installations et de photomontages réalisée dans la dernière décennie présentée dans cette exposition offre aux spectateurs une opportunité rare
d’explorer la diversité des stratégies topographiques d’Alexander ainsi que la portée universelle de son univers artistique.
Pep Subirós
Commissaire
EXTRAITS DE « NOTES ON AFRICAN ADVENTURE AND OTHER DETAILS »,
PAR JANE ALEXANDER
DE LA RECHERCHE ET DE L’INTERPRETATION
Tous mes personnages, mâles/femelles, hybrides ou poupées , évoquent, à mon sens, avec un certain degré de réalisme, de présence et
d’invention, une distillation et une interprétation imaginaire de la recherche, de l’observation, de l’expérience et du ouï-dire des différents aspects des systèmes sociaux qui influencent le
contrôle et la régulation des groupes et des individus, qu’il s’agisse d’humains ou d’autres animaux. Le spectateur est invité à soumettre l’œuvre à sa propre interprétation sans que je lui
fournisse d’explications au delà des indices qui font parties intégrantes de la présentation du personnage ou gravitent autour de lui : le titre et la légende qui y sont associés et aussi
parfois, le site et les composants de l'installation ou du tableau.
Dans la mesure du possible, j’ai choisi de ne pas expliquer mon travail pour diverses raisons. L’une de ces raisons est que je préfère et que je crois mieux maîtriser le langage visuel que le
langage verbal. Une autre raison est le fait que le message que l'on espère faire passer ou les « intentions » intellectuelles de l’artiste ne sont pas nécessairement et sont rarement en
adéquation avec la perception du spectateur surtout en l’absence d’explications. On peut également discuter sur la capacité de l’artiste à identifier un éventail de sens plus ou moins « corrects
» et significatifs qui élaborent de manière constructive la présence visuelle sans l‘enfermer dans le carcan d’une explication textuelle. Et, à l’instar du spectateur, l'artiste pourrait
également soumettre son œuvre à une interprétation qu’il préfère ou qu’il trouve valorisante. Étant donné l’immédiateté, la concision relative et l’accessibilité des mots, si j’étais capable de
formuler efficacement mes intentions par écrit, je m’empresserais de prendre la plume. (novembre 2009)
AFRICAN ADVENTURE
Le tableau African Adventure a été conçu et a évolué en grande partie comme une réponse à mes observations et à mon expérience de Long Street, au Cap. Au cours des dix années où j'y ai vécu,
coïncidant avec les changements décrits ci-après, j'ai assisté à la métamorphose de cette rue à partir du scénario sud-africain : fermetures des bars et des hôtels d’antan, transgressions des
zones résidentielles séparées (Group Areas), enfants des rues, et les labyrinthes immobiliers d’architecture victorienne qui abritent l’univers souterrain des trafiquants de drogue, de la
prostitution illicite (les consommateurs et les travailleurs, les gangs de rues et les petites entreprises s'y installaient depuis des décennies) jusqu’à la concentration embourgeoisée de centres
touristiques, de résidences de backpacking et de clubs de divertissement combinés à la « protection », aux commerces de drogue et de prostitution récemment légalisés, aux immigrants et réfugiés
illégaux venus de toute l’Afrique.
African Adventure est le fruit de la convergence de mes observations, de l’expérience de l’apartheid, de mes recherches et de mes tentatives de compréhension des projets coloniaux et
missionnaires, de la libération, du néocolonialisme et de la manière dont ils sont vécus et dont ils se reflètent en Afrique du Sud par rapport aux autres pays du continent africain et à
l’Europe, avec un focus particulier sur les spécificités de Long Street précédemment mentionné. Les centres d’aventure pour touristes et la présence croissante de migrants et de réfugiés ainsi
que le monde international de l’art et la diaspora africaine s’y sont récemment installés. Cette œuvre est le prolongement de mes efforts d’entendement des questions sociales liées à l’Afrique et
à la discrimination qui y est associée et dont sont partout victimes certains groupes de personnes. (mars 2010)
DE LA SECURITE ET DES GARDES VIVANTS
La sécurité est
une inquiétude récurrente en Afrique du Sud comme l’illustre le haut niveau de contrôle entourant l’accès aux espaces privés et publics, les alarmes, les caméras de surveillance, les périmètres
de fil de fer barbelé, les gardes de sécurité privés, les boutons de panique, la circulation d’un grand nombre d’armes officielles ou non, avec ou sans permis,… autant de réponses à une violence
omniprésente et parfois impitoyable.
Présents et pourtant presqu’invisibles, les gardes de sécurité sud-africains, officiels ou non, parfois non qualifiés mais expérimentés, sont extrêmement vulnérables, tantôt officieusement armés,
presque toujours mal rémunérés et composés principalement d’hommes « noirs » portant uniforme et matraque et travaillant de longues heures vides à notre protection. Ils sont embauchés et
sélectionnés par des sociétés de « réponse par les armes » préférées à une police souvent inaccessible et entre les mains de laquelle certains d'entre nous placent leur vie à coups de contrats
onéreux et de « boutons de panique ».
Les gardes de sécurité sont les seuls véritables personnes que l’on rencontre dans mes œuvres, à l’exception des personnes photographiées et filmées. Dans certaines circonstances, ces gardes sont
réellement ceux sur lesquels comptent certains d'entre nous. Ce fut le cas pour l’installation Security, exposé à Johannesburg en 2009. Dans d’autres présentations de Security, par exemple au
Brésil et en Suède, ces hommes faisaient référence à la migration forcée et volontaire et aux conditions socio-économiques y afférentes.
On m’a reproché de « chosifier » les êtres humains et d’« utiliser » les immigrants et les Africains dans mon travail, comme l’ont fait de nombreux artistes sud-africains « blancs » qui
représentent le corps « noir » par l’imagination ou la représentation réaliste, des conditions et des espaces de vie. Les questionnements éthiques/raciaux/psychologiques soulevés par ces
critiques sont variés et complexes. Je ne souhaite pas en débattre ici mais je remarque qu’elles ne sont pas propres à l’Afrique du Sud ou au corps « noir » et demeurent une extension notable et
étrange des complexités de cet héritage racialisé particulier. (juin 2010)
UTILISATIONS DE L’AFRIQUE
Je m’intéresse à la manière dont l’Afrique a été utilisée comme ressource artistique, par exemple, en référence à la commercialisation,
historique et actuelle des oeuvres, et aux représentations institutionnelles de l’Afrique en Afrique du Sud mais aussi en Europe et en Amérique du Nord. Je m’intéresse également à la thèse selon
laquelle des aspects de l’art moderne et contemporain européen et nord-américain, e.a. l'art conceptuel, le spectacle, le Land Art et l'installation, auraient des précurseurs dans l'art
historique africain.
Il est aussi important pour moi de considérer la manière dont certaines formes d’art ont été introduites et soutenues de l’extérieur du continent africain, ainsi que la façon dont le
contact avec l’art et la créativité a été et est contrôlé ou orienté et l’impact de cette influence sur l’art et l’artisanat produits par les peuples d’Afrique. Olu Oguibe décrit ce phénomène
d’un point de vue historique, en référence au projet missionnaire, comme les « conditions parfaites pour la fabrication d’artisans fonctionnels qui ne croyaient pas en la valeur de leurs propres
traditions artistiques et n’avaient pas accès aux Lumières impériales» .
Cette attitude a toujours une influence sur les conditions actuelles. La prédilection pour l’exotisme et le potentiel de commercialisation qui, en général, caractérise la circulation et la
consommation d’art africain est toujours bien présente. Néanmoins, il existe des opportunités favorables pour les artistes sud-africains de créer librement, d’exposer leurs œuvres dans le monde
entier et de les vendre à un prix compétitif, ce qui est relativement récent. Toutefois, l’accès à l’éducation artistique est extrêmement limité dans la plupart des écoles : il est souvent
économiquement inaccessible, principalement conçu et souvent enseigné par des professionnels « blancs » au niveau supérieur, basé sur des programmes inspirés des « Lumières impériales », pour
employer l’expression d’Oguibe, et soumis à des formes académiques et linguistiques qui désavantagent les candidats dont l’anglais est la deuxième langue et qui n’ont pas eu accès à un
enseignement de qualité équivalente à celui de la minorité privilégiée. Les plus touchées sont les personnes parlant les langues africaines qui forment la grande majorité de la population
nationale bien que les locuteurs de l’afrikaans soient également affectés. (mars 2010)
DES REPONSES DES SPECTATEURS
À mon sens, mon
travail doit être appréhendé tant instinctivement qu’intellectuellement. Et, comme je l’ai mentionné précédemment, mes œuvres renferment toutes sortes de marqueurs conceptuels (à prendre ou non
en compte) : évocateurs, descriptifs de l’environnement et spécifiquement référentiels. J’espère que mon travail dont le contenu et l’articulation sont presque toujours réalistes, sera vecteur de
sens auprès de tous, pas uniquement auprès des membres d’une élite avertie, et qu'il sera suffisamment fin pour suggérer une interprétation. Parallèlement, l’« interprétation erronée » de mes
œuvres n'est pas sans valeur. De nombreuses références intégrées dans mon travail peuvent être identifiées, interprétées, soit par association, soit par un examen plus complexe. Par exemple, par
le biais d’indices tels que le bien-fondé du site choisi ou des composants tels que les machettes, les faucilles, les gants industriels, les drapeaux, les boîtes de munitions, les vêtements ou
par d’autres indicateurs moins évidents cités dans les légendes et/ou reconnaissables. Finalement, le message que je voulais ou que je pensais pouvoir transmettre, si tant est que j’aie eu
conscience d’un tel message, n'a aucune importance. Ce travail est une réponse à une série d’expériences, d’observations, de théories et d’interprétations des environnements visuel, politique,
géographique et surtout social qui m’ont poussé à produire mes œuvres. Il n’y a pas une signification fixée. (novembre 2009)
Avec le partenariat de Art Brussels
![]() |
![]() |