Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
P
Rennes, le 17/12/2013<br /> Madame,<br /> J’ai lu avec émotion votre courrier concernant la mort de votre Maman. Je vous remercie de l’avoir écrit et je mesure, bien sûr forcément mal, le drame que vous avez vécu car toute histoire de fin de vie renvoie à l’expérience que l’on peut avoir de la mort de ses proches. Merci de votre témoignage.<br /> Il n’est bien sûr pas possible de juger d’une histoire de vie dont vous seule et votre Papa connaissent les détails, mais qui nous touche tous affectivement. Il existe encore en France aujourd’hui effectivement des situations de fin de vie inacceptables.<br /> Permettez-moi quelques remarques : L‘interdit de « l’obstination déraisonnable » (acharnement thérapeutique) est inscrit dans la loi Leonetti depuis 2005. Certes « la médecine peut prolonger la vie au-delà du naturel », mais elle n’en a plus le droit depuis cette date, car c’est en effet « un devoir moral de respect des plus faibles. »<br /> Il est également inscrit dans la même loi le devoir de respecter la volonté du patient, et son soutien lorsqu’il ne peut plus l’exprimer directement (personne de confiance, directives anticipées).<br /> Est inscrit également le droit aux soins palliatifs dont il ne semble pas que votre Maman ait pleinement bénéficié.<br /> Vous jugez que cette loi n’a pas été respectée pour votre Maman et en souffrez de façon bien compréhensible. Vous aviez et vous avez encore maintenant possibilité de recourir à la justice pour non-respect de la loi.<br /> Je loue votre volonté que « ces neufs interminables heures servent à d’autres ». Pour éviter des situations inacceptables à venir, il serait peut-être civique de se tourner vers la justice. Elle seule pourra déterminer si votre Maman :<br /> -a ou non bénéficier de la puissance de la médecine en matière de soulagement et de sédation et pourquoi.<br /> -a ou non subi une obstination déraisonnable et pourquoi. <br /> -a ou non été respectée dans ses choix thérapeutiques et pourquoi.<br /> Faire disparaitre par l’euthanasie ou le suicide assisté ces situations intolérables, c’est peut-être leur permettre de se renouveler impunément à l’infini. Ne serait-il pas plus « écologique » et responsable d’adopter par le recours à la loi actuelle (loi Leonetti) une attitude qui puisse contribuer plus surement à résoudre ces situations. <br /> Légiférer positivement sur l’euthanasie ou le suicide assisté en laissant à nos descendants le soin de résoudre ces situations inacceptables est-il vraiment responsable ?<br /> Peut-on demander à une loi de contenir certain excès de la fin de vie, comme c’est le cas de la loi Leonetti et de ne pas contenir l’excès inverse ? Il me semble que non.<br /> Je quitte maintenant mon engagement de soignant qui écoute la plainte d’une personne pour me plaindre moi-même en tant qu’homme, soignant et soignant médecin:<br /> Votre courrier et vos interventions radiophoniques paraissent comme une insulte, sans doute non voulue, faite à tous les soignants : Je n’ai pas fait tant d’années d’étude pour accepter que, pour des situations rares, que je condamne comme vous, vous véhiculiez une telle image du soin et des soignants : <br /> Je vous invite dans les services voir comment on peut soulager les patients. Vous verrez alors que l’interdit de tuer est une obligation d’inventer des réponses. Vous pourrez constater que de nombreux collègues avec de nombreuses équipes soignantes sont attentifs, en lien avec chaque famille ( qui d'ailleurs, les remercie), à imaginer tout ce qui est possible pour soulager la souffrance. La science et la loi le permette aujourd'hui dans chaque situation, quitte à administrer une sédation en phase terminale pour ce soulagement, au risque d’abréger, sans que ce soit le but recherché, la vie du patient. <br /> Beaucoup de nos concitoyens ne le savent pas. Il est plus urgent de le leur faire savoir et d'agir politiquement pour que l'accès aux soins palliatifs soit possible pour tous, plutôt que de laisser croire que la fin de vie est une succession de jours insupportables par la souffrance.<br /> Acceptez l’idée que si la médecine peut, mais ne doit pas, « prolonger la vie au-delà du naturel », elle peut, et doit, soulager les patients, jusqu’à la sédation en fin de vie. <br /> Elle peut, et doit, éviter ces « neuf heures interminables » qu’il était possible encore d’apaiser en la transportant plus tôt à l’hôpital. Quelle image a votre Maman et vous-même des soignants pour avoir préféré ces neuf heures atroces à un transfert trop tardif à l’hôpital ? Je crie aussi « l’insupportable et le dénonce ». Pourquoi tant d’irrespect envers tous les soignants qui s’impliquent pour soulager les patients ?<br /> Comment « savait-elle que l’on n’abrégerait pas ses souffrances ? » De quelle conception du soin vient cette certitude ? Comment pouvez-vous « respecter cette ultime volonté » de ne pas aller à l’hôpital et ne pas respecter « celle de faire silence ». <br /> Vous bafouez, sans doute sans le vouloir, des personnes à qui, malgré toutes les imperfections humaines, votre Maman doit 26 ans de combat avec elle contre la maladie. <br /> Pourquoi votre Maman a-t-elle refusé les soins palliatifs ?<br /> Enfin en tant que citoyen, je m’adresse à un député responsable :<br /> -Comment pouvez-vous utiliser votre situation politique pour médiatiser un drame personnel ?<br /> -Comment est-il possible de faire confiance à des élus qui votent des lois en fonction de leur affectivité et non de l’intérêt général ?<br /> -Comment accepter, pour une femme de votre niveau de réflexion, la comparaison choquante entre l’avortement et l’agonie voulue de votre Maman, en dehors d’un objectif populiste, fondement de la radicalisation à laquelle nous assistons.<br /> La lecture de votre lettre peut donc se faire à trois niveaux : celle d’une famille en souffrance qui doit être entendue, mais aussi celle d’une Maman qui semble avoir refusé, pour des raisons qui m’interrogent, les soins auxquelles elle avait droit, peut-être par mépris des soignants . Enfin celle d’un député utilisant à des fins médiatiques un drame personnel.<br /> Une telle attitude renforce le désintérêt et la coupure entre le monde des politiques et l’ensemble de la population de notre pays.<br /> Pour terminer, le soin étant le fondement du lien social que le politique a pour rôle de soutenir et d’organiser….je m’interroge sur votre aptitude à assumer votre fonction. Le burn-out est légitime et impose un retrait.<br /> Croyez, Madame le député à ma blessure en tant que soignant et à mon interrogation sur la classe politique, encore que je ne voudrais pas, comme vous, généraliser trop vite à partir de situation qui sont sporadiques au moins dans le soin.<br /> Si vraiment la loi Léonetti n’a pas été respectée, si votre Maman a subi un acharnement thérapeutique, si sa parole n’a pas été entendue et respectée, si ce n’est pas par sa volonté propre qu’elle a préféré le suicide aux soins qui auraient pu la soulager : Portez plainte puisque vous dites assumer « le risque de la justice », et vous aurez gain de cause. <br /> Croyez Madame à mon profond respect et à la part que je prends à votre peine et à celle de votre famille. <br /> Antoine Pelletier<br /> Médecin<br /> Rennes
Répondre