Le sport ne sert pas qu'à faire des champions !
Par Jean-Philippe Acensi, délégué général de l’Agence pour l’éducation par le sport (*).
Tribunes - le 4 Janvier 2011
"Bientôt quinze ans que je circule au cœur même de l’activité associative sportive qui s’implique dans des actions fortes d’insertion, de santé, de handicap, de solidarité internationale, et dans bien d’autres domaines encore. C’est un parcours parsemé de rencontres exceptionnelles, avec des anonymes qui changent la France dans une indifférence parfois sidérante. En effet, ce secteur associatif que j’ai eu la chance de découvrir, quelle est sa situation aujourd’hui ?
Rappelons tout d’abord que ces initiatives sont l’affaire de citoyens. On l’oublie trop souvent ! Ce sont des hommes et des femmes qui décident d’engager une action en direction de publics en difficulté. Au Havre, par exemple, l’association Émergence, portée par Guenni Allaoui, a décidé il y a dix ans de travailler sur l’insertion des jeunes des quartiers populaires autour de la boxe française. Chaque année, plus de 100 jeunes sont ainsi accompagnés et coachés par un réseau de chefs d’entreprises locales afin de les insérer professionnellement. Ces porteurs de projets, que nous recevons par centaines grâce à l’appel à projets « Fais-nous rêver » (5 000 projets repérés depuis treize ans que l’Agence pour l’éducation par le sport existe), sont de véritables missionnaires pour beaucoup d’entre eux, des bâtisseurs éducatifs. Cependant, leur statut est souvent peu défini. Les structures associatives sont souvent très fragiles financièrement et leur pérennité continuellement remise en question. Leur reconnaissance fait souvent défaut. Au-delà des remerciements, le rôle social de ces personnes est souvent considérable.
Par ailleurs, la place prise aujourd’hui par le sport business, qui occupe le terrain médiatique, irrigue fréquemment le sport amateur de son fonctionnement et de son exemple. Dans le football, qui couvre une grande partie de la presse française sportive, les règles élémentaires de fair-play sont régulièrement bafouées. De l’ère Tapie, où l’on achetait les matchs, à celui de Domenech, où l’on ne sert plus la main à l’adversaire, l’exemple venu d’en haut est devenu dramatiquement catastrophique. La morale et l’éthique sont quasi absentes des réflexions, mais il y a surtout bien peu d’actions engagées par l’ensemble des acteurs concernés (institutions, partenaires privés, médias…)
Alors quel rôle pourront jouer demain ces associations ? Leur positionnement entre les institutions locales et le citoyen mérite d’être renforcé mais, surtout, des débats de sens doivent s’engager localement sur les actions requises pour accompagner des publics de plus en plus fragilisés. Comme le rappelle Edgar Morin dans Pour une politique de civilisation, « il est important aujourd’hui de solidariser (contre l’atomisation et la compartimentation), ressourcer (contre l’anonymisation), convivialiser (contre la dégradation de la qualité de vie), moraliser (contre l’irresponsabilité et l’égocentrisme). Il y a en chacun de nous un potentiel de solidarité qui se révèle dans les circonstances exceptionnelles ». Il est grand temps de redonner à ces pratiques solidaires un enchantement nouveau, illustré par les milliers de projets portés par des clubs, des associations, autour d’activités en club, mais aussi de rue, de glisse, compétitives ou non.
C’est pour cette raison que nous proposons un pacte civique du sport qui pourra se mettre en place localement. Il appartient aux villes, aux régions et aux départements de lancer des dynamiques nouvelles pour donner à la pratique sportive un sens nouveau axé sur la solidarité qui est sans doute la première valeur défendue par les actions de ces associations qui s’engagent localement. Le pacte civique du sport comprend des objectifs à définir, des engagements personnels et collectifs de la part des acteurs concernés et un temps d’évaluation de ces objectifs réguliers. Le contexte socialement très préoccupant et inquiétant que traverse notre société doit laisser la place à des expériences créatrices et solidaires portées par les citoyens, sans les freiner dans leur volonté de faire. Les institutions devront certainement se mettre beaucoup plus au service de ces citoyens qui agissent au lieu de faire pour elles sans forcément prendre la dimension du problème. Il en va de notre identité nationale !"
(*) Coauteur du Sport ne sert pas qu’à faire des champions ! Éditions Les Carnets de l’info.