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Dany Devero et Natalie Mandeau

5 Avril 2013 , Rédigé par leblogducorps.over-blog.com

 

Dany Devero et Natalie Mandeau, branchés cul
3 avril 2013 à 19:06 (Mis à jour: 4 avril 2013 à 16:52)
(Photo Samuel Kirszenbaum)

Portrait Ce couple écolo tourne des pornos underground pour financer les actions antidéforestations du collectif Fuck for Forest.

Par QUENTIN GIRARD

Brève mais intense, l’action ne dure que quelques secondes. Dany Devero et Natalie Mandeau, les deux militants de Fuck For Forest, montent sur un petit talus derrière Notre-Dame de Paris, dans le square Jean-XXIII. «Dan» saisit un arbuste d’une main ferme, «attention à ne pas l’abîmer quand même», lui souffle «Natty». Il ouvre sa robe de chambre, il est nu. Elle se déshabille aussi, mais elle enroule autour de sa tête un foulard pour mimer grossièrement une burqa. «Liberté de choisir ! Révolution sexuelle», réclament-ils tous les deux, pendant leur exhibition. Ils posent pour la photo, on entend un ou deux sifflements, mais la plupart des passants ne les remarquent même pas. Ils redescendent, se rhabillent et s’éloignent du lieu de l’action à grand pas, comme s’ils venaient de braquer une banque.

 

Le principe de Fuck for Forest (FFF) est simple et tient sur une feuille d’arbre : tourner des pornos, les vendre sur leur site et reverser l’intégralité de l’argent à des projets de lutte contre la déforestation et la pollution. Deux Norvégiens, Leona Johansson et Tommy Hom Ellingsen, lancent le site en 2004. Ce porno éthique à dreadlocks devient rapidement un objet de curiosité. Une ou deux performances sexuelles en début de concerts provoquent l’ire des autorités. Depuis, ce duo a fait des adeptes et le collectif s’est installé à Berlin. Un documentaire vient d’être tourné sur le groupe, dont le Norvégien Dan et l’Allemande Natty, 23 ans, sont deux des personnages principaux.

Dans un des cafés en bordure du square, les serveurs ne cessent de les regarder, subjugués. Dan, avec sa perruque rose, son rouge à lèvres, sa robe et ses bottes à talons noires, ressemble à une Esmeralda sous acide. Natty est un peu plus discrète. Elle justifie la brièveté de leur action du jour. «Aujourd’hui, nous n’avions pas du tout envie d’être arrêtés, nous sommes allés vite», explique-t-elle. «Pour venir ici, nous avons pris l’avion, nous avons pollué le ciel, il fallait rendre à la nature un peu de ce qu’elle vient de nous donner», ajoute Dan. Les deux militants reviennent de San Francisco. Ils y ont passé un mois et demi pour protester contre un décret récent qui interdit le nudisme de rue, toléré pourtant depuis la fin des années 60. «Tout le monde devrait avoir le droit de s’habiller ou de se déshabiller comme il l’entend, défend Dan. Moi, je ne suis pas nudiste, mais je me bats pour ce droit à la nudité.» Il est persuadé que notre salut passera par une totale ouverture sexuelle.

Natty a rejoint le groupe en 2007, Dan il y a seulement deux ans. Ils se considèrent comme des «amoureux», mais prônent l’amour libre. Ils ne sont pas contre le mariage mais ne voient pas pourquoi une union devrait se limiter à deux personnes. Quand l’un ne reproche pas à l’autre de lui couper la parole, ils se lancent des «darling» et «my lover» à tout bout de champ. «Il n’y a pas besoin de coucher avec tout le monde pour intégrer Fuck for Forest, raconte Natty. Chacun peut venir avec ses pratiques, ses idées, on ne juge pas, nous ne sommes pas des politiques, nous sommes des combattants de la liberté», ajoute-t-elle. «Tout ce dont on a besoin, c’est d’amour», l’interrompt son ami, avant de se lever brusquement pour aller fumer une roulée. A Natty, la tentative de discours construit. A Dan, les grandes phrases aussi profondes qu’une chanson des Beatles traduite en français.

Avant Fuck for Forest, ils ont eu des parcours chaotiques. Natty Mandeau ne veut pas trop en parler. Elle a connu «toutes les villes allemandes» : «Ma mère était une activiste, un peu tzigane, on bougeait beaucoup.» Elle a quitté l’école à 17 ans. Dan Devero vient d’une petite ville de Norvège, ses parents sont fermiers, mais il n’a «plus vraiment de contact avec eux». «Ils ne me comprennent pas, regrette-t-il. J’ai toujours aimé me travestir, depuis que je suis tout petit. Ma mère ne l’a jamais accepté.» A 13 ans, il sort du système scolaire et fréquente plusieurs instituts spécialisés. Il fait de l’équitation, puis de la musique. «C’est ce qui m’a sauvé.» Il découvre Fuck for Forest alors qu’il joue dans la rue à Berlin. Il tombe sous le charme. «Chez mes parents, j’avais observé les dégâts de l’exploitation forestière sur la nature, je trouvais ça terrible», argumente-t-il.

Tout le collectif vit dans un trois-pièces dans la capitale allemande. Parfois ils sont six, parfois dix, parfois vingt. «Nous avons recréé une famille», s’enthousiasme Natty. Dans le documentaire, on les voit passer les soirées dans leur salon, joints, musique planante, et massages érotiques collectifs et bisexuels. Le jour, ils démarchent des gens dans le milieu underground pour leur proposer de poser gratuitement, «pour sauver la planète». Beaucoup acceptent de montrer un sein ou un pénis, à la va-vite, dans un des nombreux terrains vagues de la ville, cachés entre des herbes sauvages.

Pour vivre, «nous faisons les poubelles pour trouver de la nourriture et des vêtements, et nous jouons de la musique dans la rue pour gagner un peu d’argent», explique Natty. Ils disent ne jamais utiliser pour eux les revenus du site internet. Après une pointe à 1 000 abonnés à 15 dollars par mois, ils sont désormais plus proches des 500. Les internautes ne paient pas pour du porno à la Dorcel, avec des femmes siliconées et des hommes musclés dans des demeures chics. Dans leurs scènes, les acteurs bénévoles ont des tatouages, ils sont maigres ou gros, le tournage se fait à l’arrache et ne se termine pas toujours par une éjaculation faciale. Ils ont amassé plus de 250 000 dollars, mais ils avouent ne pas trop savoir comment les dépenser. «C’est dur de trouver des vrais projets intéressants, regrette Natty. Il faut dire aux gens de nous écrire, de faire des propositions.» Entre autres actions, ils ont déjà acheté 80 hectares de forêt au Pérou afin de développer un écovillage, donné 40 000 dollars à une réserve indienne au Brésil pour acheter des terres ou 8 000 dollars à une campagne pour la préservation de la dernière forêt naturelle de Slovaquie.

«Vous ne trouvez pas que vous avez une attitude un peu naïve?» leur demande-t-on. «Il faut parfois être naïf face à la réalité, juge Dan. Arrêtons de violer la planète, d’esclavagiser la nature.» «Mais vous n’auriez pas aimé vivre à une autre époque, dans les années 70 par exemple ?» «Je ne sais pas, répond Natty. Nous vivons dans un monde très déprimant, trop d’informations négatives arrivent de partout, mais, en même temps, il y a tellement de possibilités de connexions, de rencontrer des gens différents.» Ils rêvent d’une société où «chacun prendrait la responsabilité de créer et de prendre soin de ce qu’il y a autour de lui». Ils ne savent pas ce qu’ils feront dans dix ans, sans doute la même chose. De toute façon, ils sont hors les normes, ils passeront toujours pour des doux dingues et ils ne s’en soucient pas. «Nous payons tous un prix pour notre ignorance», lance à un moment Dan. Il parle de nous, de la société, de lui. Il sait qu’il ne sait rien, mais cela ne l’arrête pas. 

En 5 dates

1989 Naissances.
2004
Lancement de Fuck for Forest.
2007 Natalie Mandeau rejoint FFF.
2011
Dany Devero rejoint FFF.
2013 F*ck for Forest,
documentaire de Michal Marczak diffusé en mars au festival Cinéma du réel.

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