«Je suis né sans os sous les genoux. Je mesure seulement 1,57 m. Mais c’est le corps qui m’a été donné. C’est mon arme. C’est ainsi que je conquiers, que je mène ma guerre.
C’est ainsi que j’ai battu le record du monde 49 fois. C’est ainsi que je deviens la chose la plus rapide sans jambes. C’est mon arme. C’est ainsi que je me bats.» Tels sont
les mots prononcés par Oscar Pistorius dans une publicité pour Nike. Le personnage est devenu un acteur hybride incontournable de l’engagement éthique des acteurs du sport en interrogeant les
normes de handicapabilité. Son cas est du ressort de la bioéthique puisqu’il interroge la définition même de l’être humain.
Hybridé, Pistorius est venu interroger avec sa double prothèse l’imaginaire normatif du sport officiel et les limites de la classification du sport selon l’image du corps. A 26 ans,
handicapé de naissance, il a été l’une des stars des JO de Londres en 2012, prenant le départ avec les valides du 400 mètres et du 4 x 400 mètres. La mondialisation des
jeux paralympiques dans la mise en spectacle a démontré l’inclusion de Pistorius éliminé, comme un autre athlète valide, en demi-finale du 400 mètres de ces JO, apogée d’une
reconnaissance ou d’une banalisation du cyborg. Cette hybridation des pratiques par la présence ensemble de sportifs valides et adaptés est aussi un bouleversement de l’imaginaire du corps ;
la difficulté est d’imaginer et d’accepter une nouvelle image du corps qui place l’altérité sans une altération fonctionnelle mais sans idéalisation d’un retour au corps parfait.
Mais en utilisant des armes contre son amie Reeva Steenkamp, l’autre Oscar Pistorius se révèle à nous comme, toutes proportions gardées, et avec la même sidération, O.J. Simpson accusé
de meurtre sur son ex-femme, Marc Cécillon tuant sa femme de cinq coups de feu en 2004, Zinédine Zidane et son coup de boule ou DSK à l’hôtel Sofitel. Du jour au lendemain, le corps
devient une arme par une décharge pulsionnelle fulgurante et violente sur le corps des autres. Faute d’un accompagnement psychologique, la dépendance sportive peut se définir comme un besoin
compulsif de pratiquer une activité physique, sexuelle ou sportive. Chez certains athlètes, ce mode d’investissement «à corps perdu», permettrait de combler un manque ou de faire face à
une situation potentiellement traumatique. L’agir corporel se présente peu à peu comme un outil privilégié pour répondre à ces angoisses, qui seraient impossibles de mettre en mots.
L’assimilation du sport à la violence, et en particulier dans la mise en scène médiatique et marchande du stade, a pu laisser croire que la barbarie se trouvait dans le sport lui-même plutôt
que dans le vécu sportif.
La virilisation du corps sous stéroïde est toujours dans un combat contre lui-même et les autres. Jusqu’où devons nous être performants ? Pour Norbert Elias, la fonction du sport dans la
société est de réguler les passions. D’où le terme de catharsis, au sens d’Aristote, qui signifie la libération et le relâchement de tensions par le spectacle, à l’occasion ici du
spectacle sportif. Certains sportifs vont se servir du sport pour contrôler leurs pulsions. Lorsque le sportif craque, comme Pistorius, il libère sa pulsion pour pouvoir s’en libérer et
se recontrôler. Le peut-il encore ? L’énergie du sportif devrait alors être contrôlée pour pouvoir la mettre au service d’une nécessité technique et d’une nouvelle performance
sportive.
Le contrôle des émotions est toujours le principe d’une bonne socialisation. Dès l’école maternelle, les cours de récréation doivent réguler les corps en des rituels de symbolisation et
de verbalisation qui éloigneraient les sujets de toute rémanence émotionnelle. La sportivation des corps n’échappe pas à cette pacification des corps par l’incorporation normative des règles,
habits, techniques du corps et civilités arbitrales. L’exemplarité citoyenne du sport de compétition viendrait, au niveau de la représentation médiatique, démontrer la concorde sinon des
peuples du moins celle des agents sportifs.
Qui aura héroïsé Pistorius en un produit commercial ? Qui aura trouvé en lui le hérault de l’hybridation sociale des personnes handicapées parmi les valides ? Nous trouvions en
lui la lumière dans l’obscurité de la stigmatisation et de l’exclusion du handisport. Il a eu le courage de contester par le corps les règlements discriminatoires pour imposer une
égalité de droits. Est-ce un déni de sa différence ou une inclusion trop volontaire ? Derrière son corps hybridé, l’arme était présente dans sa vie quotidienne selon un modèle viril, machiste
et violent contre la femme. Ce qu’il représente pour l’éthique sportive n’a pas eu d’efficacité symbolique suffisante pour son propre corps : la cause de l’hybridation sociale
a-t-elle pu le satisfaire pleinement ? Derrière le sportif héroïque et médiatisé, la jalousie, les anabolisants leveurs d’inhibition, le machisme violent… un être humain ordinaire
confronté à ses passions et à ses pulsions !
Dernier ouvrage paru : «L’Ethique du sport», sous la direction de Bernard Andrieu, 80 contributeurs, Lausanne, éd. l’Age d’homme.